Ouyehia : Entre l’enterrement d’un brave, et l’humiliation
d’un crack !
Aujourd’hui fut conduit à sa dernière demeure Maitre
Laïfa Ouyehia dans un climat le peu que l’on puisse dire pernicieux. L’enterrement
se passa dans une cacophonie totale marquée par une cohue indescriptible ou s’est
mêlé badauds, accompagnateurs sincères, et une horde de gendarme encadrant l’ancien
chef du gouvernement Si Ahmed Ouyehia, - qui obtint une autorisation spéciale
du parquet pour assister à l’événement mortuaire.
Tous ceux qui ont entendu, vu, analysé, et encore
plus, connu, feu Laïfa Ouyehia s’accordent à dire qu’il été un homme de valeur,
et un homme avec des valeurs, et que son soudain décès est une perte réelle non
seulement pour sa famille mais pour le parti dans lequel il militait, et pour, il
va sans dire, pour sa famille. L’homme était connu pour sa droiture morale, son
pragmatisme, et son honnêteté; on se rappelle son intervention sur la châine privée
El Bilad ou il étala devant tous les Algériens ses convictions et surtout ses positions
politiques vis-à-vis du gouvernement dont son propre frère était le chef. Il
fut un modèle d’honnêteté en exhibant son opposition politique à son frère
allant jusqu’à l’inviter à partir par la grande porte, ce qui fut, une vision prémonitoire.
On a tous découvert à travers cet entretien un homme qui ne peut déroger à
ses convictions même si son propre frère était en face, - et cela nul ne peut
le lui enlever. On se rappelera à jamais la lucidité et l'honneteté avec la quelle il a fustigé son frére lors du fameux entretien accordé à une chäine privée, mais on retiendra surtout que malgré les divergences politiques, il n'a pas reculé devant le devoir familial en répondant présent pour assister un frére en assumant la responsabilité de plaider dans des affaires aussi complexes pour lesquelles son "client" est poursuivi.
On a découvert un homme instruit, et par-dessus
tout un homme tempéré qui savait tenir une discussion : Un homme plein de sagesse,
- Que le Seigneur lui accorde le repos éternel, et l’accueil dans son vaste paradis.
Pour revenir à l’enterrement en tant que tel, n’en
déplaise à certains, je fus choqué tout en me sentant mal de voir si Ahmed Ouyehia
dans un état lamentable. Je fus triste de voir un homme, peu importe les griefs
retenus contre lui, peu importe la vérité des uns et des autres, peu importe ce
qu’il a réellement pu faire, après avoir été au sommet de l’état, malmené dans
tous les sens par un cordon de sécurité, un homme à la merci d’éléments de la
gendarmerie qui à un moment pas si lointain assuraient sa sécurité. Quelle tristesse, quelle fin de carrière
tragique : Après tant d’années de service, après tant d’années de responsabilité,
après tant d’années dans le faste des hautes sphères de l’état, finir exhibé
comme une bête de cirque devant les caméras. Je suis triste pour lui et pour sa
famille de le voir amaigri, fatigué, dans une tenue simple, les mains menottées,
le pas lourd et la mine défaite. Nonobstant toute l’arrogance dont il a fait
preuve durant les nombreuses années de service, il demeure un être humain affligé
par une perte tragique d’un frère, et ne serait-ce-que pour cette raison on lui
doit le minimum de sympathie et autre empathie, - en tant que musulman, et en
tant qu’être humain!
Maintenant
, je voudrais mettre mon grain de
sel sur la justice Algérienne dont le fonctionnement ne cesse de nous étonner
de jour en jour. Certes, accorder une autorisation spéciale pour Si Ahmed Ouyehia,
un justiciable en plein procès, est, d’un point de vue humain fort louable,
mais je ne cesse de me poser la question de savoir si cette initiative ne cache
pas des calculs politiques et autres manigances politiciennes.
Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais je
pense qu’une telle décision, l’autorisation de sortie de prison, est une
décision d’une telle responsabilité que le parquet ne peut assumer à lui seul,
et encore moins prendre par lui-même. Cela dit, une telle décision ne peut se
prendre au niveau du parquet de Sidi M’Hamed, mais se prend à un niveau plus
haut, encore, car les conséquences d’une éventuelle bévue auraient été dramatiques
pour les soi-disant parties qui prirent la décision d’autoriser un justiciable,
emprisonné, de sortir de sa cellule. Ceci nous amène à considérer que la décision,
hormis son caractère humanitaire, est une énième tactique pour amuser la
galerie et donne un semblant d’une nouvelle ère. À moins d’être aveugle, ou
aveuglé, on peut conclure que l’objectif de la médiatisation de cet événement
dépasse le seul motif humanitaire. Pourquoi accorder à Si Ahmed Ouyehia le
droit d’assister à l’enterrement de feu son frère, alors que sous le même
ministre un activiste du mouvement populaire arrêté, jugé, puis condamné à de
la prison ferme n’a pu avoir ce type de compassion pour assister à l’enterrement
de toute sa famille
emportée tragiquement par un accident de la
circulation.
Le procès mettant en cause Si Ahmed Ouyehia fut
marqué par un comportement hors normes durant lequel on a assisté à une mise à
mort médiatique en bonne et due forme d’un symbole de l’état. La retransmission
par certaines chaines privées est le point d’orgue coup de grâce à un processus
engagé dans les salles du palais de justice,
sinon comment expliquer que les audiences
soient retransmises par les chaines de télévision privées à travers les fuites
des bandes des télésurveillances, contrevenant au principe universel
à l’article 14 paragraphe 1 du Pacte
international de l’ONU relatif aux droits civils et politiques
[19]...
Pour rappel, dans les annales de la justice, si je
ne me trompe pas, l’humanité a assisté à deux exceptions dans ce contexte ou des
procès furent filmés et retransmis à grande échelle : Le procès de Nuremberg jugeant les hauts gradés
du régime Nazi, et le procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem, - quand on sait que
pour le deuxième, les juges ont exigé que les caméras ne soient pas visibles ce
qui a obligé le réalisateur et son producteur à creuser les murs de la salle
pour y encaster lesdites caméras.
Aujourd’hui, on a pu voir sur les chaines privées,
dont une en particulier avait apparemment la primeur, une comédie de mauvais
gout mettant en scène un ancien chef de gouvernement et haut commis de l’état :
Les retransmissions misaient sur les plans serrés d’un Ouyehia menottés, encadrés
par une horde de gendarmes comme pour rajouter à son humiliation et accrôitre son
malheur.
Le
mettre en scène de la sorte n’est qu’un stratagème pour le présenter au grand
public sous son plus mauvais jour; une forme d'immixtions arbitraires dans sa
vie privée, et une atteinte avérée à son honneur et à sa réputation. Une
manière de lui enlever toute option lors de la suite de son procès, car on l’a
déjà condamné avant même la fin de son procès aux yeux du grand public :
On vient d’annihiler le principe affirmé par l'article 9 de la Déclaration des
droits de l'homme et
du citoyen du 26 août 1789 qui veut que tout homme étant présumé innocent
jusqu'à ce qu'il ait
été déclaré coupable.
On a pu constater comment la manipulation pouvait
causer l’indécence du simple administré qui galvanisé par les relais médiatiques
allant jusqu’à oublier le lieu saint de la cérémonie, proférant insultes et remontrances
à voix haute oubliant par la même, nos us et coutumes quant sans égards à la
sacralité de l’endroit ni qui y résident. On n’a pu observer comment la manipulation
de masse pouvait enlever tout sentiment de compassion, pardon, empathie,
pourtant l’essence même des valeurs de notre religion et signe distinctif de l’Algérien.
Le lendemain de l’enterrement, le ministère de la
justice émet un communiqué de presse ou justifier la sortie circonstancielle du
prévenu Ouyehia en informant l’opinion public que l’exception fait partie des
procédures judiciaires et que c’est une décision laissée à la discrétion du
président du parquet. Drôle de communiqué quand on sait qu’un certain Mohamed
Abbess, détenu d’opinion N’ait pas eu ce geste d’humanisme lorsqu’il perdit trois
de ses filles emportées par une fuite de gaz.
Le surlendemain, poussant l’absurdité à son paroxysme,
le ministre de la communication et porte-parole du gouvernent, fait une sortie médiatique
pour exprimer désarroi, tout en fustigeant les chines de télévisions qui ont
assuré la couverture de l’événement dont texte intégral joint : « …
"La couverture médiatique,
notamment audio-visuelle, de l’enterrement de Me Laïfa Ouyehia, frère du
prévenu Ahmed Ouyehia, a donné une image qui n’honore ni le métier de
journaliste ni le peuple qu’on est censé servir, un peuple connu pour l’ancrage
de ses valeurs de compassion devant la mort et de tolérance. Outre qu’elles
consacrent le procédé indigne de l’humiliation, les images d’un ancien chef de
gouvernement menottes aux poignets, éprouvé et abattu par la perte de son
frère, exhibé dans un spectacle indigne relèvent de l’indécence morale. Ces
précédents témoignent malheureusement de deux grands maux qui donnent la mesure
de la pauvreté du capital humain dans notre secteur: la déficience de la chaîne
de valeurs éducatives et l’exercice médiocre de la profession ». Dixit Monsieur
Ammar Belhimer, ministre de la Communication, Porte-parole du Gouvernement.
On aurait souhaité que Monsieur le ministre ait pu être plus proactif en commençant
par interdire la diffusion des séquences pirates des séances du jugement de mis
en cause dans le palais de justice, et en envoyant des directives claires et
fermes aux chaines privées qui relèvent de sa tutelle.
La mise en scène fut digne des films de série B :
On a autorisé Monsieur Ouyehia à assister à l’enterrement de son frère, mais on
s’assure de bien le présenter à travers des plans serrés en mettant bien en
évidence les menottes aux poignets. Pourquoi toute cette
présentation? Pourquoi les menottes? Est-ce-qu’un homme de 68 ans, qui semblait
physiquement et psychologiquement fatigué, pouvait fausser compagnie à une
vingtaine de jeunes soldats de l’élite de la gendarmerie (GIGN)? Comment expliquer
que Ouyehia, une des figures publiques les plus haies dans le pays puisse avoir
ce geste humain malgré le danger que ce déplacement représentait pour sa
personne et sur l’ordre public, mais un parfait inconnu, un simple citoyen s'est vu refuser ce privilège, pour le même motif : Décès d’un frère pour le
premier, et décès de ses filles pour le deuxième. On dit que la justice est aveugle;
on vient de découvrir qu’elle n'était pas aussi aveugle que nos magistrats
veulent nous le faire croire,- en tous les cas.
En conclusion, on constate que les différents services
croisés excellent dans la manipulation de masse. Le simple citoyen ne doit en
aucun cas se laisser emporter par ses sentiments, et doit apprendre à faire la
part des choses. On doit apprendre à user de notre faculté d’analyse et ne
jamais réagir à chaud pour avoir assez de temps pour avoir l’heure juste. En
ces temps de brouillement politique, social, et d’incertitude économique, le système
essaye par tous les moyens de détourner l’attention des administrés des vrais problèmes
de leur quotidien en jetant en pâture des anciens serviteurs de la république. Les
méthodes employées ces derniers temps n’augurent rien de bon pour l’avenir
entre manipulation et réduction de toute forme de liberté.
Salah Eddine Chenini