mercredi 24 juin 2020




Ouyehia :  Entre l’enterrement d’un brave, et l’humiliation d’un crack !





Aujourd’hui fut conduit à sa dernière demeure Maitre Laïfa Ouyehia dans un climat le peu que l’on puisse dire pernicieux. L’enterrement se passa dans une cacophonie totale marquée par une cohue indescriptible ou s’est mêlé badauds, accompagnateurs sincères, et une horde de gendarme encadrant l’ancien chef du gouvernement Si Ahmed Ouyehia, - qui obtint une autorisation spéciale du parquet pour assister à l’événement mortuaire.


Tous ceux qui ont entendu, vu, analysé, et encore plus, connu, feu Laïfa Ouyehia s’accordent à dire qu’il été un homme de valeur, et un homme avec des valeurs, et que son soudain décès est une perte réelle non seulement pour sa famille mais pour le parti dans lequel il militait, et pour, il va sans dire, pour sa famille. L’homme était connu pour sa droiture morale, son pragmatisme, et son honnêteté; on se rappelle son intervention sur la châine privée El Bilad ou il étala devant tous les Algériens ses convictions et surtout ses positions politiques vis-à-vis du gouvernement dont son propre frère était le chef. Il fut un modèle d’honnêteté en exhibant son opposition politique à son frère allant jusqu’à l’inviter à partir par la grande porte, ce qui fut, une vision prémonitoire. On a tous découvert à travers cet entretien un homme qui ne peut déroger à ses convictions même si son propre frère était en face, - et cela nul ne peut le lui enlever. On se rappelera à jamais la lucidité et l'honneteté  avec la quelle il a fustigé son frére lors du fameux entretien accordé à une chäine privée, mais on retiendra surtout que malgré les divergences politiques, il n'a pas reculé devant le devoir familial en répondant présent pour assister un frére en assumant la responsabilité de plaider dans des affaires aussi complexes pour lesquelles son "client"  est poursuivi. On a découvert un homme instruit, et par-dessus tout un homme tempéré qui savait tenir une discussion : Un homme plein de sagesse, - Que le Seigneur lui accorde le repos éternel, et l’accueil dans son vaste paradis.

Pour revenir à l’enterrement en tant que tel, n’en déplaise à certains, je fus choqué tout en me sentant mal de voir si Ahmed Ouyehia dans un état lamentable. Je fus triste de voir un homme, peu importe les griefs retenus contre lui, peu importe la vérité des uns et des autres, peu importe ce qu’il a réellement pu faire, après avoir été au sommet de l’état, malmené dans tous les sens par un cordon de sécurité, un homme à la merci d’éléments de la gendarmerie qui à un moment pas si lointain assuraient sa sécurité.  Quelle tristesse, quelle fin de carrière tragique : Après tant d’années de service, après tant d’années de responsabilité, après tant d’années dans le faste des hautes sphères de l’état, finir exhibé comme une bête de cirque devant les caméras. Je suis triste pour lui et pour sa famille de le voir amaigri, fatigué, dans une tenue simple, les mains menottées, le pas lourd et la mine défaite. Nonobstant toute l’arrogance dont il a fait preuve durant les nombreuses années de service, il demeure un être humain affligé par une perte tragique d’un frère, et ne serait-ce-que pour cette raison on lui doit le minimum de sympathie et autre empathie, - en tant que musulman, et en tant qu’être humain!

Maintenant, je voudrais mettre mon grain de sel sur la justice Algérienne dont le fonctionnement ne cesse de nous étonner de jour en jour. Certes, accorder une autorisation spéciale pour Si Ahmed Ouyehia, un justiciable en plein procès, est, d’un point de vue humain fort louable, mais je ne cesse de me poser la question de savoir si cette initiative ne cache pas des calculs politiques et autres manigances politiciennes.


Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais je pense qu’une telle décision, l’autorisation de sortie de prison, est une décision d’une telle responsabilité que le parquet ne peut assumer à lui seul, et encore moins prendre par lui-même. Cela dit, une telle décision ne peut se prendre au niveau du parquet de Sidi M’Hamed, mais se prend à un niveau plus haut, encore, car les conséquences d’une éventuelle bévue auraient été dramatiques pour les soi-disant parties qui prirent la décision d’autoriser un justiciable, emprisonné, de sortir de sa cellule. Ceci nous amène à considérer que la décision, hormis son caractère humanitaire, est une énième tactique pour amuser la galerie et donne un semblant d’une nouvelle ère. À moins d’être aveugle, ou aveuglé, on peut conclure que l’objectif de la médiatisation de cet événement dépasse le seul motif humanitaire. Pourquoi accorder à Si Ahmed Ouyehia le droit d’assister à l’enterrement de feu son frère, alors que sous le même ministre un activiste du mouvement populaire arrêté, jugé, puis condamné à de la prison ferme n’a pu avoir ce type de compassion pour assister à l’enterrement de toute sa famille   emportée tragiquement par un accident de la circulation.

Le procès mettant en cause Si Ahmed Ouyehia fut marqué par un comportement hors normes durant lequel on a assisté à une mise à mort médiatique en bonne et due forme d’un symbole de l’état. La retransmission par certaines chaines privées est le point d’orgue coup de grâce à un processus engagé dans les salles du palais de justice,  sinon comment expliquer que les audiences soient retransmises par les chaines de télévision privées à travers les fuites des bandes des télésurveillances, contrevenant au principe universel  à l’article 14 paragraphe 1 du Pacte international de l’ONU relatif aux droits civils et politiques [19]...


Pour rappel, dans les annales de la justice, si je ne me trompe pas, l’humanité a assisté à deux exceptions dans ce contexte ou des procès furent filmés et retransmis à grande échelle : Le  procès de Nuremberg jugeant les hauts gradés du régime Nazi, et le procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem, - quand on sait que pour le deuxième, les juges ont exigé que les caméras ne soient pas visibles ce qui a obligé le réalisateur et son producteur à creuser les murs de la salle pour y encaster lesdites caméras.

Aujourd’hui, on a pu voir sur les chaines privées, dont une en particulier avait apparemment la primeur, une comédie de mauvais gout mettant en scène un ancien chef de gouvernement et haut commis de l’état : Les retransmissions misaient sur les plans serrés d’un Ouyehia menottés, encadrés par une horde de gendarmes comme pour rajouter à son humiliation et accrôitre son   malheur.   Le mettre en scène de la sorte n’est qu’un stratagème pour le présenter au grand public sous son plus mauvais jour; une forme d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, et une atteinte avérée à son honneur et à sa réputation. Une manière de lui enlever toute option lors de la suite de son procès, car on l’a déjà condamné avant même la fin de son procès aux yeux du grand public : On vient d’annihiler le principe affirmé par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 qui veut que tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable.

On a pu constater comment la manipulation pouvait causer l’indécence du simple administré qui galvanisé par les relais médiatiques allant jusqu’à oublier le lieu saint de la cérémonie, proférant insultes et remontrances à voix haute oubliant par la même, nos us et coutumes quant sans égards à la sacralité de l’endroit ni qui y résident. On n’a pu observer comment la manipulation de masse pouvait enlever tout sentiment de compassion, pardon, empathie, pourtant l’essence même des valeurs de notre religion et signe distinctif de l’Algérien.

Le lendemain de l’enterrement, le ministère de la justice émet un communiqué de presse ou justifier la sortie circonstancielle du prévenu Ouyehia en informant l’opinion public que l’exception fait partie des procédures judiciaires et que c’est une décision laissée à la discrétion du président du parquet. Drôle de communiqué quand on sait qu’un certain Mohamed Abbess, détenu d’opinion N’ait pas eu ce geste d’humanisme lorsqu’il perdit trois de ses filles emportées par une fuite de gaz.

Le surlendemain, poussant l’absurdité à son paroxysme, le ministre de la communication et porte-parole du gouvernent, fait une sortie médiatique pour exprimer désarroi, tout en fustigeant les chines de télévisions qui ont assuré la couverture de l’événement dont texte intégral joint : « … "La couverture médiatique, notamment audio-visuelle, de l’enterrement de Me Laïfa Ouyehia, frère du prévenu Ahmed Ouyehia, a donné une image qui n’honore ni le métier de journaliste ni le peuple qu’on est censé servir, un peuple connu pour l’ancrage de ses valeurs de compassion devant la mort et de tolérance. Outre qu’elles consacrent le procédé indigne de l’humiliation, les images d’un ancien chef de gouvernement menottes aux poignets, éprouvé et abattu par la perte de son frère, exhibé dans un spectacle indigne relèvent de l’indécence morale. Ces précédents témoignent malheureusement de deux grands maux qui donnent la mesure de la pauvreté du capital humain dans notre secteur: la déficience de la chaîne de valeurs éducatives et l’exercice médiocre de la profession ». Dixit Monsieur Ammar Belhimer, ministre de la Communication, Porte-parole du Gouvernement. On aurait souhaité que Monsieur le ministre ait pu être plus proactif en commençant par interdire la diffusion des séquences pirates des séances du jugement de mis en cause dans le palais de justice, et en envoyant des directives claires et fermes aux chaines privées qui relèvent de sa tutelle.


TV en Algérie mai 2020.pngLa mise en scène fut digne des films de série B : On a autorisé Monsieur Ouyehia à assister à l’enterrement de son frère, mais on s’assure de bien le présenter à travers des plans serrés en mettant bien en évidence les menottes aux poignets. Pourquoi toute cette présentation? Pourquoi les menottes? Est-ce-qu’un homme de 68 ans, qui semblait physiquement et psychologiquement fatigué, pouvait fausser compagnie à une vingtaine de jeunes soldats de l’élite de la gendarmerie (GIGN)? Comment expliquer que Ouyehia, une des figures publiques les plus haies dans le pays puisse avoir ce geste humain malgré le danger que ce déplacement représentait pour sa personne et sur l’ordre public, mais un parfait inconnu, un simple citoyen s'est vu refuser ce privilège, pour le même motif : Décès d’un frère pour le premier, et décès de ses filles pour le deuxième. On dit que la justice est aveugle; on vient de découvrir qu’elle n'était pas aussi aveugle que nos magistrats veulent  nous le faire croire,- en tous les cas.

En conclusion, on constate que les différents services croisés excellent dans la manipulation de masse. Le simple citoyen ne doit en aucun cas se laisser emporter par ses sentiments, et doit apprendre à faire la part des choses. On doit apprendre à user de notre faculté d’analyse et ne jamais réagir à chaud pour avoir assez de temps pour avoir l’heure juste. En ces temps de brouillement politique, social, et d’incertitude économique, le système essaye par tous les moyens de détourner l’attention des administrés des vrais problèmes de leur quotidien en jetant en pâture des anciens serviteurs de la république. Les méthodes employées ces derniers temps n’augurent rien de bon pour l’avenir entre manipulation et réduction de toute forme de liberté.

Salah Eddine Chenini



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